Loft hanté est une captivante nouvelle collection de matériel d’apprentissage multimédia pour les non-francophones désireux d’apprendre le français. On la retrouve dans la série Se donner le mot du tandem ECP-Université du Québec à Trois-Rivières. Vingt capsules vidéos d’environ cinq minutes chacune racontent progressivement l’histoire de deux « ados » charmants, Laura et Mattéo, qui s’abritent de la pluie en se réfugiant dans un loft. Cependant, ce loft se trouve hanté par deux sympathiques fantômes - joués par les acteurs québécois d’expérience, Pierre Verville et Christopher Hall - et une gargouille animée, bien vivante. Laura et Mattéo sont incapables de sortir de ce lieu, ce qui par ricochet leur permet d’explorer le tendre sentiment amoureux qui les habite. En même temps, ils cherchent une voie pour se glisser hors du champ magnétique qui semble entourer le loft - ou est-ce la gargouille avec son regard intrigant qui tire à sa manière les ficelles? Leur amie, Mathilde, est pourtant capable d’entrer et de sortir du loft à sa guise, voilà qui suffit à ajouter du piquant à l’intrigue. L’histoire est cohérente, charmante et vraiment amusante! Elle rivera à l’écran son public cible qui, je me plais à penser, souhaitera enfiler les vingt capsules vidéos à la queue leu leu.

Bien que, même sans réelles intentions d’apprentissage, le tout se veule en soi fort enlevant à visionner, les enseignants de français se réjouiront en apprenant qu’il y a beaucoup plus encore dans la trousse Loft hanté. Selon un plan bien établi, un ensemble constitué d’objectifs d’apprentissage et de matériel pédagogique y est minutieusement déployé à travers toute l’intrigue. Par exemple, chaque épisode vidéo met l’accent sur une à trois expressions ciblées et courantes à l’oral en français dont voir la vie en rose - et vingt-cinq autres semblables. Chaque épisode commence avec l’expression présentée à l’écrit à l’écran. Par la suite, celle-ci est reprise à trois ou quatre reprises dans le contexte de l’histoire. Chaque épisode se termine avec un des personnages de l’intrigue qui, à l’instar d’un ami professeur, explique le sens et l’étymologie de l’expression ou des expressions mises en valeur. Tous en conviendront : cela prend une certaine ingéniosité pour mener brillamment une histoire en la parsemant d’expressions propres à l’intrigue, jamais de façon forcée. On passe de tourner autour du pot dans l’épisode 1 à briser la glace dans l’épisode 2 et ainsi de suite, d’épisode en épisode. Il va sans dire qu’une telle réussite repose sur une équipe de scénaristes chevronnés et une troupe d’acteurs professionnels : chapeau!

Les 26 expressions choisies pour l’intrigue recèlent toutes d’une valeur d’apprentissage indéniable pour un apprenant de niveau débutant en français. Il s’agit de tournures métaphoriques fréquemment utilisées dans le langage courant, tant en ce qui touche les mots que les expressions elles-mêmes. À titre d’exemple, les mots vie, rose, pot, briser, glace et tourner sont tous des vocables communément employés. Quant à l’expression même tourner autour du pot, elle obtient 2 710 1000 réponses sur Google; avoir la bosse de… en affiche 256 000. Plusieurs des expressions retenues sont celles chéries des ados. Pour n’en mentionner que deux, je pense à c'est chouette et tu me casses les pieds. D’autres s’apparentent davantage à des locutions comme être à la merci de quelqu'un. Enfin, il en est certaines, issues directement du terroir canadien tel avoir la tête à Papineau (jouir d’une intelligence hors du commun).

Hors mis le plaisir et l’utilité que revêtent a priori toutes ces expressions, il faut savoir qu’en linguistique appliquée des recherches récentes célèbrent leur importance dans l’apprentissage de la langue seconde. Naguère les mots et les phrases étaient les pierres d’assise de l’acquisition d’une langue, et voilà que l’attention se tourne à présent davantage vers un entre-deux, celui des idiomes, des locutions et de plusieurs unités constituées de multiples mots qui, en fait, se révèlent être beaucoup plus qu’un pur assemblage de termes individuels. Se pencher sur les regroupements de mots est maintenant prioritaire dans l’apprentissage d’une langue. Même si pareils regroupements ne se veulent pas tous colorés et idiomatiques, en raison de leur attrait et de leurs prédispositions mnémotechniques ils s’avèrent tout de même un excellent tremplin pour apprivoiser la langue.

Dans la trousse pédagogique Loft hanté, l’apprentissage des expressions se déploie en deux temps :

o       la capacité à employer habilement et à retenir un répertoire d’expressions variées;

o       l’aptitude à interpréter des expressions dans un langage plus soutenu, lorsqu’il est impossible de les comprendre mot à mot.

Jusqu’à tout récemment ce double objectif était perçu propre aux apprenants de niveau avancé seulement. Or, si on s’appuie sur les réflexions actuelles en linguistique appliquée, il incarnerait dorénavant l’avenue tout indiquée pour les apprenants de niveau débutant. Voilà un lieu où Loft Hanté s’inscrit comme précurseur.

Et il y a plus encore puisque l’habile entrelacement intrigue-pédagogie ne s’arrête pas là. Chaque capsule comporte un ensemble complet de matériel supplémentaire, tant pour l’enseignant que pour l’apprenant. Le manuel de l’enseignant ne se réduit pas à des ajouts superflus. Bien au contraire, il propose un inventaire consciencieux des caractéristiques de la langue. Cet inventaire sera particulièrement utile à ceux enclins à une exploitation centrée sur la forme puisque le guide pédagogique propose des unités linguistiques pour chacun des 20 épisodes. Par exemple, on y constate qu’un ensemble de thèmes phonologiques, syntaxiques et lexicaux s’intègrent à l’intrigue de façon si fluide, je dois l’avouer, que même moi qui forme de futurs maîtres de langues, je ne l’avais pas remarqué lors du visionnement, avant de parcourir le guide pédagogique. Par exemple, l’épisode 18, qui gravite autour de deux expressions que sont jouer cartes sur table, c’est-à-dire parler ou agir de manière franche et monter un bateau à quelqu'un, à savoir le duper, est suivi d’une liste d’éléments de prononciation employés de façon récurrente dans l’histoire, divisés en groupes pour pratiquer (ma tendre Laura; enfin, ça commence) ainsi qu’en structures grammaticales, elles aussi fréquemment entendues dans la vidéo (l’impératif dans ce cas). En regardant de nouveau l’épisode, j’ai alors pu prendre conscience des leçons qui en découlaient. Incidemment, le guide pédagogique offre également une généreuse moisson de matériel qu’un enseignant peut soit faire imprimer, soit coller sur le tableau ou sur les murs de la classe dans le but d’encourager les apprenants à s’absorber dans l’intrigue – tout en « recyclant » des éléments de la langue française qui sont, une fois de plus, parfaitement intégrés, de façon simple et conviviale.

Toujours en conservant à l’avant-plan l’intrigue de Loft hanté, le matériel pour les apprenants inclus dans le guide pédagogiques recèle d’atouts certains. Le site www.lofthante.com fournit quant à lui un environnement parallèle complet, avec le même standard de haute qualité que la production des capsules vidéos. On y trouve une kyrielle de tâches d’intégration du contenu et une foule de jeux, à exécuter soit à l’école soit à la maison. Parmi tous les possibles, mon coup de cœur va pour l’écoute des épisodes en mode interactif. Après avoir visionné dans le site Web des épisodes en mode continu, je peux les reprendre en mode interactif. Qu’est-ce à dire? La vidéo s’arrête à quelques intervalles où un des comédiens, Hall ou Verville, propose un jeu-questionnaire, une activité d’association ou d’autres éléments pour vérifier, chemin faisant, la compréhension de l’auditeur. Et pour plus de plaisir à la maison encore, dans le site Web l’onglet Salle de jeux (arcades vidéos) comprend trois à quatre jeux supplémentaires de haute envolée pour passer en revue les mots, les structures et les sons présents dans le dialogue de chaque épisode.

Certains pourront se demander sans doute à raison si Loft hanté ne se réduire qu’à deux mots clés : plaisir et jeux. La réponse : pas vraiment, plus précisément, non. Un grand problème dans plusieurs manuels de cours de langue actuels, et comme mes recherches l’ont d’ailleurs démontré, consiste en l’impossibilité d’harmoniser de nouveaux éléments à enseigner à d’autres déjà acquis. Le hic en didactique des langues a particulièrement trait au vocabulaire. En clair, des tas de nouveaux mots sont présentés une seule fois et tous à la fois, puis ils disparaissent de la mémoire de l’apprenant, et ce, avant même qu’ils n’aient véritablement été intégrés pour une utilisation subséquente efficiente. Le défi consiste, dans contexte semblable, à « garder bien vivants » les acquis. À cette enseigne, Loft hanté incarne une excellente panacée. Avec Loft hanté, on « recycle » les contenus de l’intrigue à travers des jeux, par le biais de tâches en ligne et de défis entre pairs en classe à partir du guide.

Le matériel offert dans la trousse Loft hanté peut être utilisé d’innombrables façons. On peut combler une leçon complète avec de petits épisodes répétés deux fois. Il est possible d’y recourir lors d’une heure de classe pour se centrer sur la forme, grâce à de nombreuses ressources supplémentaires. Un enseignant pourrait aussi choisir de structurer une année de cours entière autour de ce matériel. Un autre pourrait préférer recourir aux capsules en les intégrant à un cours traditionnel. Un parent avec une connaissance moyenne de la langue française pourrait tirer profit de cette trousse et donner à son enfant un bon départ en français, question de le préparer à l’école d’immersion française, par exemple. Un apprenant autonome et motivé de n’importe quel âge pourrait quant à lui préférer disposer de ce matériel pour briser son unilinguisme. Les possibilités sont littéralement infinies.

Tout compte fait, à mon avis, Loft hanté se veut une trousse hors pair pour trois raisons majeures :

·         dans sa tentative - que je crois réussie – de stimuler dans leur apprentissage du français les « ados » souvent difficiles à atteindre;

·         dans son intégration de la recherche au sein d’un guide pédagogique ambitieux;

·         dans son recours à la technologie non pas pour s’inscrire dans un courant, mais bien pour demeurer au service du « recyclage », aspect essentiel dans l’apprentissage d’une langue.

Il ne fait nul doute à mon esprit que la trousse pédagogique Loft hanté constitue une ressource inestimable, et ce, à un point tel que je souhaiterais moi-même être un professeur de français pour pouvoir en partager les contenus avec des enfants à Calgary ou à Vancouver!

Thomas Cobb

Professeur titulaire, Département de didactique des langues

Faculté des Sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal

cobb.tom@uqam.ca / www.lextutor.ca